Les compositions de la "Messe pour une bénédiction"

Les quatre pièces [trois en définitive seront interprétées ce jour-là] qui vont rythmer la bénédiction du nouvel orgue de Saint-Thibaut sont complétés par un Credo. Elles forment ainsi l'ordinaire d'une messe selon le canon romain.
L'ensemble est à dessein concis et ne prétend pas déployer les fastes d'une grand-messe solennelle. Cependant, le traitement musical et temporel de chaque composition respecte l'esprit du texte et du moment liturgiques, principe baroque de la Contre-Réforme.
Le traitement mélodique est syllabique, comme le veut l'usage le plus répandu du chant des chrétiens. Volontairement, il n'est pas lyrique. La forme est donc ramassée, mais non monolithique. L'alternance des interventions de l'orgue et des variations des effectifs du chœur puis de l'assemblée modèlent des pleins et des déliés. Naît ainsi une respiration qui nourrit l'inspiration de la ligne mélodique. Et l'essence de l'orgue n'est-elle pas celle du chant, de la respiration, le souffle, l'esprit ?

Des invariants compositionnels renforcent l'esprit unitaire de cette Messe pour une bénédiction.

1° En premier lieu, l'orgue — puisqu'il est au centre de la cérémonie — est traité comme un soliste et non comme un simple instrument accompagnateur. Sa partie fonctionne comme une pièce instrumentale à part entière.

2° Ensuite, le traitement structurel de chaque chant est trinitaire et joue sur l'alternance entre sections regroupant le chœur et l'assemblée, sections tenues par un ou deux pupitres (voix d'hommes seules ; altos et barytons ; sopranos et ténors) et sections dévolues aux quatre voix du chœur. Ce jeu alternatif a une double valeur, symbolique et musicale. Chaque section figure la participation d'un groupe constitutif de l'Église. Quand l'assemblée s'allie au chœur, c'est le peuple tout entier qui s'exprime. Les quatre voix du chœur sont l'écho de l'Église constituée. Les pupitres masculins prennent le rôle du clergé, de l'officiant.

3° Le troisième axe de ces compositions est la juxtaposition systématique du texte originel grec ou latin et de sa version française. Et ce n'est pas un hasard si les paroles canoniques sont confiées aux pupitres “quasi solistes" figurant le clergé.

4° Orgue d'esthétique baroque oblige, le compositeur s'est plu à des "clins d'œil" musicaux évoquant les XVIIe et XVIIIe siècles. Leur but ne vise pas à l'anecdote, mais à éveiller la mémoire culturelle commune.
Église moderne et orgue contemporain obligent, le traitement, notamment harmonique, prend de la distance avec le Grand Siècle, même s'il garde un principe fondamental de l'esprit baroque : la musique suit le texte. Il ne faut donc pas y chercher une musique d'ambiance ou de pathos, ni une musique imitative, mais un chant spirituel, habité.
 

Evocation pièce par pièce

 

KyrieMaître, sois compatissant
Cette démarche pénitentielle est conçue comme un rituel d'accueil. Humblement, le peuple invité à partager la table du Maître demande à se faire accepter. Ici se forme le rassemblement, l'église (ecclesia), autour de la Table. Le chant est présenté de manière trois fois trinitaire : au peuple tout entier, qui chante en langue vernaculaire (Maître, sois compatissant), répond la démarche rituelle du clergé, en grec (Kyrie eleison). Cette même inclinaison fonde l'Église, que figure le chœur, reprenant Maître, sois compatissant.



GloriaGloire à Dieu et Paix sur la Terre
Nature et structure sont ici très différentes de celles de la prière d'entrée. À l'hymne à la gloire de Dieu proprement dite s'adjoignent quatre moments : une aspiration à la paix sur terre, une phase rituelle d'affirmation de la foi, un rappel de la démarche pénitentielle, et une doxologie trinitaire. Le prélude par lequel l'orgue introduit cette hymne dans un style concertant est repris in extenso en conclusion comme soutien de l'Amen final. Dans cette pièce, en définitive assez complexe, se côtoient un traitement symbolique typiquement baroque et des modulations harmoniques modernes.

SanctusSaint, saint, saint
La symbolique baroque est encore plus patente dans cette acclamation eucharistique. Les deux parties, Cantique d'Isaïe et Benedictus, sont précédées par un prélude à l'orgue en motifs arpégés ascendants. C'est le regard d'Isaïe qui s'élève vers le ciel où chantent les séraphins. Chacune des sections conclut par le Hosanna, rythmé et clamé haut et fort. À la tonalité de Fa majeur du Cantique d'Isaïe répond celle de La mineur très modulée du Benedictus. Sur la reprise des arpèges en contrepoint de l'orgue, le Sanctus est chanté en latin par tous, car l'eucharistie rassemble tout le monde et n'oublie personne.

Agnus DeiAgneau divin
Les paroles de ce chant du partage sont très belles, mais complexes. Le Christ que l'on a fêté et acclamé, l'hôte qui nous accueille, le maître de la maison des fidèles se fait offrande, victime sacrificielle et rédempteur. La ligne mélodique très travaillée, toute en douceur, comme l'agneau, est aussi perturbée par le conflit entre notre essence pécheresse et notre aspiration à la sanctification. L'orgue en clausule de chacune des trois sections appose une note de sérénité. Y fait suite à chaque fois le chant en latin, pris à la relative mineure, c'est-à-dire en Ré mineur, dans un rythme plus allant et sur une mélodie plus assurée. Il est confié aux seuls ténors dans le premier mouvement. Puis les barytons interviennent en contrepoint. La troisième fois, toutes les voix viennent participer à cette communion dans la paix du Christ. Le chant du partage eucharistique termine sur les paroles de paix. A cappella et en latin, puis avec l'orgue en bourdon. »

© Patrice Launay