Questions/Réponses

À quoi sert l’orgue dans l’église ?

⇨    "Rien n’est trop beau pour glorifier Dieu."
L’Église a longtemps hésité entre le chant a cappella, sans instrument, et le chant d’apparat accompagné par les instruments.
Parmi eux, la cithare et l’orgue ont été longtemps les seuls admis.
Mais l’organiste n’était pas toujours le bienvenu, car considéré comme un "technicien", voire un "histrion". En dehors de considérations acoustiques (parfois fort discutables), cela explique que les grandes orgues soient placées en tribune et qu’on y accède non par la nef, mais par l’extérieur ou le narthex. Contrairement à l'orgue de chœur, joué, lui, par un chanoine.
Depuis la Contre-Réforme, la musique et, partant, l’orgue ont pris une importance grandissante. Plus récemment, le concile Vatican II, bien que préconisant une certaine retenue dans les manifestations musicales et démonstratives, favorise les interventions de l’orgue dans la liturgie.

Pourquoi cet instrument est-il si grand ?

⇨ La hauteur est conditionnée par la taille des tuyaux.
Or le plus grand des tuyaux en façade mesure 2,60 m de haut. Mais à l'interieur, le plus haut atteint 5,20 m.
⇨ Les buffets, ces deux meubles qui constituent l’orgue, contiennent quelque 1 500 tuyaux.
Cela demande une certaine épaisseur. Et le soubassement renferme la soufflerie, la mécanique et les sommiers, sur lesquels sont enfichés les tuyaux.

Est-ce utile d’avoir deux claviers et un pédalier ?

⇨    Chaque clavier commande en fait un orgue :
Au manuel, celui du bas fait jouer le "Grand-Orgue", celui du haut le "Positif".
Au pédalier, c’est un troisième orgue, placé dans la partie gauche du buffet, appelé "Pédale".
⇨    Mais on peut faire jouer en même temps le Positif et le Grand-Orgue, ainsi que l’un ou l’autre (ou les deux) et la Pédale.

Mais ces claviers sont petits par rapport à un piano…

⇨    Les claviers manuels couvrent 5 octaves, au lieu de 7 sur un piano.
Cependant l’orgue est capable de sonner bien plus grave qu’un piano et de chanter également bien plus aigu.
⇨    Grâce à des "jeux" plus graves ou plus aigus, l’orgue compense la faible étendue de ses claviers.
L’orgue de Saint-Thibaut joue ainsi une octave plus grave qu’un piano mais aussi 2 octaves et demie plus haut, couvrant 10 octaves et demie.

À quoi correspondent tous ces boutons sur les côtés des claviers ?

⇨ Ces boutons commandent le choix des sonorités, appelées "jeux".
⇨ L’orgue est conçu pour que l’ensemble des trois claviers se complète.
⇨ Mais chaque clavier est également autonome.
Le Grand-Orgue, (GO) est établi sur des sonorités franches de "Principal", auxquelles viennent se joindre des sons particuliers (Viole de Gambe, Flûte, Trompette, Dulziane, Cornet).
Le Positif (POS), quant à lui, est construit sur la base de "Flûte" et s’entoure aussi de sonorités comme la Viole de Gambe, une Petite Quinte, une Sesquialtera (désormais transformée en Terz) et un Krummhorn.
La Pédale (Péd) s’appuie sur une Subbass de 16’ (type Bourdon), mais répond au GO par des Principaux de 8’ et de 4’. Y figurent aussi un Posaune 16’ et une Trompette 8’.

Le tout peut être soumis à un vibrato, grâce au Tremblant.
⇨ Cette disposition classique permet de nombreuses combinaisons.
Elle est particulièrement adaptée, par exemple, à l’accompagnement des chants alternés entre voix polyphoniques du chœur et de l’assemblée (qui requiert solidité et franchise) et intervention soliste (où l’orgue doit se faire plus amical et ne pas couvrir la voix du chanteur).

L’orgue n’est pas en tribune, est-ce normal ?

⇨    L’important pour un intrument de musique est de sonner de belle manière.
Sa place dépend donc étroitement de la conformation de l’édifice.
⇨    Or la tribune de Saint-Thibaut n’est pas propice à recevoir un orgue.
Il n’y a pas de hauteur sous voûte suffisante. De plus, elle est conçue pour accueillir des fidèles. Et le chauffage à air pulsé est placé juste en dessous.
⇨    L’étude acoustique de l’église a révélé que l’autel est à la meilleure place pour se faire entendre…
Il reste à l’orgue de s’insérer dans l’architecture le plus près possible de ce point idéal.
La situation en hauteur des tuyaux et la disposition en légère concavité des deux demi-buffets rapprochent l’émission sonore du point optimal.
⇨    Donc, oui, c’est normal que cet orgue ne se trouve pas en tribune.
Il faut ajouter à cela d’autres raisons déterminantes : les unes esthétiques, les autres symboliques.
Esthétiquement, l’instrument roi a pour mission de "parachever l’aménagement intérieur de l’église". Sa disposition en double buffet met en valeur les deux éléments essentiels de l’édifice, l’autel et l’élévation des verrières de la flèche.
Ces deux éléments sont, en outre, porteurs de symboles. L’autel est le point focal horizontal et vertical de l’église, à la croisée des verrières, à l’aplomb de la flèche.
⇨    L’orgue vient exalter la signification symbolique de cette disposition.
Concentration du regard sur l’autel et sur la croix posée en son centre, et accompagnement du mouvement ascensionnel de la verrière centrale.
Mais il ajoute la voix à l’architecture. Et ce chant prend naissance dans le chœur. Il est étroitement lié à la fonction liturgique de l’édifice et fait corps avec la symbolique forte que dégage l’archtecture.

Comment joue-t-on sur le pédalier ?

Le pédalier est un clavier destiné à être joué avec les pieds. Ses "touches" (appelées "marches") sont donc beaucoup plus grandes que celles des claviers manuels. Elles sont au nombre de 30, soit la moitié du manuel, et jouent dans le registre le plus grave de l'instrument. Cela posé, l'organiste dispose de ses deux pieds, ce qui équivaut à quatre doigts. En effet, il peut se servir pour chaque pied de la pointe et du talon. Il lui faut donc faire preuve d'une certaine "dextérité" des extrémités inférieures. Celle-ci s'établit sur trois dispositions :

  1. Une indépendance totale des pieds par rapport aux mains, mais aussi des côtés droit et gauche
  2. Un équilibre corporel qui permette des mouvements précis des pieds sans chahuter le tronc et les bras
  3. Une souplesse suffisante au niveau des malléoles dans les mouvements de lever-poser, autant que latéraux.

La première repose avant tout sur une aptitude cérébrale de l'instrumentiste. Cependant, comme pour la lecture simultanée de plusieurs clés, c'est l'entraînement qui valorise cette aptitude. Si, par malheur, vous êtes incapable de différencier vos mains, vous ne réussirez pas davantage avec les pieds.
L'équilibre se trouve dans la juste distance du corps et des claviers. L'organiste doit rester centrer (sur le Ré3 des claviers), genoux joints (mais pas soudés !) et pas trop bas afin de ne pas avoir à soulever les jambes pour jouer avec ses pieds. Mieux vaut en effet être un peu haut et s'installer davantage sur le bout des fesses. Mais le plus important est de se sentir bien, léger et mobile.
Le travail au pédalier consiste principalement, après avoir mémorisé la disposition de celui-ci pour ne plus avoir à y penser ni, surtout, à regarder ses pieds (!), à parfaire la souplesse des chevilles et des mouvements latéraux (rotation du bassin, le buste restant droit face aux claviers).

Dernière précision : la partition de pédale s'écrit en clé de Fa. Mais l'orgue joue une octave plus grave en 16' (Subbass, Posaune), voire deux en 32' (inexistant à Saint-Thibaut).

Combien cet orgue comporte-t-il de tuyaux ?

Faites le calcul avec moi. Chaque clavier manuel comporte 56 touches, et celui du pédalier 30 marches.
Chaque jeu de fond, d'anches ou de mutation simple comprend 1 tuyau par note.
Vingt jeux sont concernés par cette disposition.

Le compte est le suivant :
Aux deux claviers manuels : quinze jeux simples

15 x 56 = 840 tuyaux

Au pédalier : cinq jeux simples

5 x 30 = 150 tuyaux

Soit un total de : 990 tuyaux.

Que reste-t-il à ajouter ? Les jeux de mutation composée, qui sont au nombre de 3 : Cornet V, Mixtur IV et Sesquialtera II.
Mais, attention, le Cornet V ne débute qu'au Do3. Il faut donc lui retrancher 23 notes. Or ce Cornet fait entendre 5 tuyaux pour une même note, tandis que la Mixtur IV en aligne 4 et la Sesquialtera seulement 2.

Le complément se compose ainsi :
(33 x 5) + (56 x 4) + (56 x 2) = 501 tuyaux

Le total des tuyaux de l'orgue s'élève donc à :
990 + 501= 1 491 tuyaux sonores

En réalité, il y en a un peu moins. La Mixtur ne comporte pas, en effet, 4 tuyaux pour toutes ses notes. Mais le total des tuyaux avoisine les 1500, si l'on y inclut les "chanoines", ces tuyaux de façade, muets, qui sont là juste pour faire joli.

Pourquoi dites-vous que cet orgue moderne est d'esthétique baroque ?

L'esthétique en question ici est d'ordre musical. Il ne s'agit donc pas de l'aspect extérieur du buffet, qui, lui, est contemporain. L'esprit baroque, en revanche, se découvre dès que l'on ouvre les volets de la console. La disposition des claviers et, plus encore, celle des tirants de registres encadrant le pupitre est typique des XVIIe et XVIIIe siècles. Ainsi l'orgue de Saint-Thibaut revendique-t-il délibérément une parenté avec la facture des Silbermann alsaciens et saxons. Et cela dans trois domaines : la mécanique, l'architecture sonore et l'hamonisation.

Un instrument entièrement mécanique

Derrière la façade moderne, toutes les commandes sont mécaniques, c'est-à-dire directes. Il n'y a pas de relais électrique, ni électromécanique ou électromagnétique. Tout est transmis par un jeu de tringlerie dont la précision millimétrique garantit la légèreté des claviers, même accouplés, et la fidélité aux intentions de l'interprète. Autrement dit, léger et précis, cet orgue est le subtil prolongement des doigts et des pieds de l'organiste. Par contre, toute approximaton, toute balourdise devient clairement audible. Mais cela participe aussi du caratère baroque.

Une architecture sonore inspirée de la facture de Saxe du Sud

Venons-en maintenant à la partie sonore. Le choix des jeux et leur agencement sont très significatifs. Ils déterminent en quelque sorte le style de l'orgue : Moyen Âge (XIVe-XVe s.), Renaissance (XVIe s.), classique et baroque (XVIIe-XVIIIe s.), romantique (XIXe s.), symphonique (XIXe-début XXe s.), puis néo-classique, voire néo-romantique (XXe s.). Je ne reviens pas ici sur les raisons du choix de cette esthétique, déjà évoquées : voyez Espace Temps => L'église Saint-Thibaut et les fidèles bâtisseurs. Ce qui définit notre instrument comme baroque, c'est l'équilibre entre jeux de fond, mutations et anches. La base de l'édifice sonore est le jeu de Principal 8', sur lequel s'échaffaude la structure des timbres et des harmoniques depuis le 16' jusqu'au 2'. Cet étagement du plus grave au plus aigu représente la palette des nuances, de l'ombre à la clarté. La palette des couleurs (les timbres) regroupe les jeux de mutation (quinte, tierce [dans la Sesquialtera II] désormais individualisée, mixture) et les jeux d'anches (trompette, douçaine, cromorne). Baroque aussi, la répartition de ces sonorités dans l'espace. Le jeu principal est en façade et les jeux du Grand-Orgue placés en avant dans le demi-buffet de droite. Ceux du Positif partagent le même corps de buffet face à l'organiste, un peu à la manière d'un Burstwerk allemand. Les registres de Pédale logent dans le demi-buffet de gauche. Par ailleurs, cet orgue ne dispose pas de boîte d'expression capable de simuler crescendos et decrescendos.

Une harmonisation inégale

Ce qui va surtout typer temporellement (baroque) et spatialement (Alsace et Saxe) cet instrument, c'est son harmonisation. Tout d'abord, le fait qu'il soit bâti sur des Principaux, puis son tempérament inégal (Neidhardt) lui confèrent une personnalité bien définie – et très attachante.

Baroque, est-ce restrictif ? Il faut savoir qu'aucun orgue cohérent ne peut prétendre être à même de tout jouer, sans parler d'authenticité. L'orgue Kern de Saint-Thibaut, du fait de son tempérament particulier n'est pas le mieux placé pour interpréter le répertoire post-classique et romantique, qui réclame un tempérament strictement égal (12 demi-tons égaux dans l'octave). Le tempérament de Neidhardt permet néanmoins de jouer dans les 24 tonalités majeures et mineures. Mais ces tonalités ne sont pas de simples transpositions de hauteur d'une même gamme, chacune garde un caractère propre selon son placement par rapport aux concessions que le "tempérament" y fait à la stricte justesse. Que de couleurs dans le répertoire ancien et baroque ! Et même dans les œuvres du XXe siècle.

Mais notre orgue cesse d'être "baroque" quand il s'agit de diapason : comme il doit s'allier avec des instruments de facture moderne, il est accordé au La 440 Hz. Mais cela est un autre débat, puisque la notion de diapason absolu n'était pas une préoccupation baroque.

Doit-on parler d'un orgue ou des orgues ? Quelle est la différence ?

Judicieuse question. À Saint-Thibaut, nous étions habitués à parler de l'orgue, au singulier et au masculin. Simplement, parce que l'instrument (cf. L'un se retire, l'autre arrive) ne comprenait qu'un seul clavier et donc un seul sommier [le pédalier n'était qu'une tirasse permanente]. Le terme était alors parfaitment approprié.

Maintenant, nous devrions parler "des grandes orgues", au pluriel et au féminin. Le changement de genre n'est qu'un avatar linguistique : en latin, organum (n.) devenant organa au pluriel, la terminaison en -a fut prise pour un féminin. Mais pourquoi le pluriel ? L'instrument actuel comprend en fait trois orgues : le Grand-Orgue, le Positif et la Pédale, auxquels [au masculin, puisqu'il s'agit ici de trois unités] correspondent trois claviers, deux manuels et le pédalier.

Je vais donc devoir désormais changer la terminologie, et parler des grandes orgues de Saint-Thibaut…

Il faut savoir, cependant, que dans les grands édifices il existe généralement deux instruments : l'orgue de chœur, et les grandes orgues. Le premier est destiné à soutenir le chant liturgique. Il est placé au niveau du sol, traditionnellemnt sur le côté gauche du chœur, au milieu des stalles, et joué par un chapelain. Les grandes orgues sont le plus souvent en tribune, au-dessus de l'entrée de la nef. Elles étaient confiées à un musicien (la plupart du temps laïc). Leur usage est solennel. elles ont une fonction d'apparat qui n'est pas dévolue au temps ordinaire, mais aux fêtes carillonnées. Contrairement à une idée reçue, ce n'est pas tant pour se rapprocher du chant des anges que les grandes orgues sont placées en hauteur et au fond de l'église. Mais, dans les cathédrales et grandes abbatiales, pour ne pas assourdir les fidèles et, surtout, pour assurer un accès extérieur à l'organiste laïc. Il n'est donc pas nécessaire d'être perché dans les nues pour que la musique se diffuse. Voyez la réponse à la question : "L'orgue n'est pas en tribune, est-ce normal ?"

À Saint-Thibaut, ne devrions-nous pas alors parler "des grandes orgues de chœur" ?
Attention, l'instrument générique est bien l'orgue (m. sg.), la réalisation peut se mettre au pluriel (et au féminin), attendu qu'elle inclut trois intruments. Mais n'est-il pas plus simple de dire l'orgue, le grand orgue ?

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© Patrice Launay